À toi qui ne peux pas te permettre un burnout

Auteure : HP-DYSjonctée (hp-out.com)

J’ai développé un sale défaut depuis que je suis en burnout : je suis tout le temps inquiète pour tout le monde…

Je suis inquiète. Inquiète pour ceux qui courent aveuglement après le temps… Ceux qui ne pensent pas une seconde à s’arrêter… Ceux qui, finalement, n’ont même plus le temps de penser… Je suis inquiète pour eux, je suis inquiète pour nous, je suis inquiète pour toi.J’ai l’impression d’être un soldat rapatrié. Blessée, consciente que je ne serai plus jamais comme avant et qu’une certaine fragilité me poursuivra dorénavant, je culpabilise envers tous mes amis restés sur le front. Je les vois essayer de maîtriser leur fatigue et leurs nerfs à vif, gérer travail, enfants et ménage. Je vois des parents à bout et des enfants éponges qui se prennent tout leur stress. Et je sens ce sentiment de force qui vous anime – qui m’animait encore il y a peu : la naïveté profonde de croire qu’on est maître de soi et  que tout n’est qu’une question de volonté.

Je suis inquiète et mon inquiétude te dérange. Tu te mets sur la défensive dès que j’y fais allusion. Tu me répondras que ça va, que tu « tiens bon » tout en me précisant que, franchement, tu n’as « pas le choix ». Et j’aurais droit à cette phrase que je reçois si souvent de plein fouet, sous une forme ou une autre : « je ne peux pas me permettre un burnout ! »

Puis-je te juger ? Moi qui ai passé au moins trois ans avec des gros signes de burnout sans m’arrêter. Moi qui suis en arrêt depuis un an à force de refuser un certif d’un mois (EN BURN-OUT, MOI ?!). Moi qui ai développé une dépression profonde, une anorexie réactionnelle et un syndrome post-traumatique… Qui suis-je pour te faire la leçon ?

Mais tu vois, pour moi, le temps s’est arrêté. Je ne cours plus… À vrai dire, je ne sais même plus marcher. Je fais tout sur la pointe des pieds, lentement et silencieusement. J’ai lâché le chronomètre qui ne quittait pas ma main. Je me suis détachée des écrans en tout genre qui comblaient par ci par là mon besoin de répit. J’ai cessé de faire honneur aux réseaux sociaux. J’évite les médias d’actualités, anxiogènes à souhait,  qui alimentent la haine des uns envers les autres. Je fuis les gens, un peu par honte, beaucoup par protection. J’ai développé une phobie sociale, c’est vrai, mais finalement, n’est-ce pas un mal pour un bien ?

Je ne cours plus et du coup j’ai le temps de regarder le paysage qui défile, d’entendre le bruit du vent qui fait danser les feuilles des arbres. J’ai le temps d’apprécier le silence, seul état qui permet de se retrouver seul avec soi. J’ai le temps de remettre doucement  du sens dans ma vie, de fixer mes priorités, de redonner force et vigueur à mes valeurs profondes et de redécouvrir mes besoins les plus vitaux. J’ai appris à apprécier les moments où je ne fais rien… absolument rien… Chose encore impensable pour moi il y a quelques mois lorsque ce vide quotidien était une véritable torture mentale.

Tout ceci doit te paraître bien serein. Pourtant,  en dessous de cette tranquillité – visible telle la pointe d’un iceberg – se cache une quantité de souffrances inimaginable. Dans notre société, la valeur de ce que nous sommes est définie presque entièrement par le travail. Me voici balancée du jour au lendemain dans le panier des profiteurs, des faibles, de ceux qui coûtent à la société. Je ne suis plus que faiblesse, je ne représente plus que l’échec. L’échec de cette société qui prône le dépassement de soi.  Mais à force de courir, on en oublie le pourquoi. Ce qu’on pense au plus profond de nous-mêmes est confondu avec la pensée des autres, nos valeurs sont étouffées par nos angoisses, nos besoins profonds échangés contre des biens matériels, et finalement, oui finalement, ça tombe bien qu’on court tout le temps car ça nous permet de ne pas trop prendre conscience de l’absurdité de cette vie métro-boulot-dodo.

Une personne m’a dit récemment : « Moi, les gens dépressifs, je ne comprends pas ! Moi je vais me dire allez, hop, courage, et je vais foncer, bouger, et ne pas rester là à m’angoisser et à penser à ce qui me démoralise ». Je comprends. Je comprends car je faisais la même chose. J’ai toujours cru que j’étais une personne qui ne subissait pas trop le stress et qui n’était pas très sensible aux angoisses. La baba cool qui prend la vie du bon côté. Je n’avais jamais pris conscience que je ne laissais simplement pas l’occasion à mon stress et à mes angoisses de se manifester. J’avais encore moins conscience que toute émotion négative enfouie se grave dans le corps. Et quand le corps fait grève, quand on ne peut plus réagir au stress par la lutte et l’action, toutes ces émotions négatives vous envahissent de partout !

Alors quand tout s’arrête subitement, c’est un désastre. On est brûlé de l’intérieur, totalement consumé. On prend de plein fouet notre fragilité, l’absurdité de cette course effrénée qui a bousillé notre santé. On trouve le temps qui s’arrête insupportable car il nous confronte à nos choix de vie. On trouve le silence insoutenable car il laisse place à cette voix intérieure qui a tant de choses à dire qu’on n’est pas prêt à entendre.  Il ne te reste plus qu’à espérer ne pas avoir enfoui trop de choses bien au fond de toi, car tu te prendras tout dans la tronche en un seul coup. L’état d’épuisement est tel que le corps ne sait plus porter ce qu’on étouffe, ce qu’on ignore, ce qu’on bafoue. Il impose à notre conscience le sac à dos entier de notre existence d’un seul coup. L’énergie permet de fuir, faire pour ne pas être, mais avec la batterie à zéro, on n’a plus le choix. Il faut affronter tout ce qu’on fuit. On ne sait plus faire, il ne reste donc plus qu’à être. Mais être qui ? A force de courir, on l’a oublié.

Pourtant, ma vie était loin d’être dénuée de sens. Sais-tu d’ailleurs que le Burnout est aussi appelé la maladie des motivés ? J’exerçais mon métier avec passion, j’adore mon rôle de maman, j’ai une relation rare avec mon mari, j’aime la bienveillance et la pensée positive et nous sommes entourés d’une belle famille et d’amis tout aussi précieux. Oui, j’étais fatiguée, épuisée même certainement, mais je n’aurais jamais pensé pouvoir me retrouver en mode zombie sur pattes du jour au lendemain.

Je suis inquiète, donc. Je suis inquiète pour eux, je suis inquiète pour nous, je suis inquiète pour toi. Je ne peux qu’espérer que tu t’arrêtes à temps le moment voulu. Mais n’a-t-il pas déjà eu lieu ce moment voulu ? As-tu déjà pris le temps de regarder les effets du stress chronique sur le corps ? As-tu contrôlé combien de symptômes tu développes déjà ? As-tu conscience que le burnout te pend au nez mais pas seulement… Le stress chronique peut, pour le même prix, t’amener à une crise cardiaque, un AVC, un cancer,… Tu me diras encore et toujours que tu « tiens bon » sans comprendre que justement, c’est ça le danger !

Tu ne veux pas t’arrêter, tu tiens le coup, et c’est ton choix. C’est ton droit ! Mais fais-moi un petit plaisir. Le jour où tu entendras que quelqu’un a « pris » un certificat d’un mois ou plus pour burnout et que tu ressens telle une pointe de jalousie, un agacement profond envers cette personne qui se permet de se croire plus fatigué que toi, pose-toi les bonnes questions. Laisse-lui le droit de privilégier sa santé au qu’en-dira-t-on ou à la fierté d’être un bon p’tit soldat. Ne lui mets pas la pression, ne le juge pas, ne l’enfonce pas. Pose-toi juste la bonne question : « pourquoi ça m’agace autant ? » J’ai posé la question à ma psychologue : pourquoi tant de colère envers ceux qui sont en arrêt de maladie ? Elle m’a dit qu’on est pour certains le miroir qui reflète ce qu’ils ne se permettent pas, à aucun prix. Du coup, notre image leur est insupportable.

Alors, le jour où tu ressentiras cette pointe de jalousie ou d’agacement, demande-toi si tout ceci en vaut bien le coup. Ne deviens pas aigri ! Dorénavant, je n’admire plus les gens qui disent haut et fort qu’ils pourraient être sous certif mais le refusent, j’admire ceux qui ont la force de cesser de jouer dans ce système… à temps ! Alors, s’il te plait, prends soin de toi !
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01/11/2018 : Suite aux nombreux mails reçus…

À toi qui ne te permets pas un burnout,

Tu m’as écrit pour m’exprimer ta gratitude suite à l’article ci-dessus. Mais tu exprimes aussi beaucoup de désarroi : Quand s’arrêter ? Comment faire ?

Tes mots me donnent envie de revenir sur la notion de choix. Je sais que tu as l’impression de ne pas avoir le choix, d’être obligé de tenir. Ce qui est important à mes yeux, c’est de comprendre que le burnout est une maladie et non une simple fatigue. Si tu te sens touché, si tu as ne serait-ce qu’un petit doute, prends rendez-vous chez ton médecin généraliste. C’est à lui de décider si tu dois t’arrêter ou non, pas à toi !

Texte original : https://hp-out.com/2018/10/22/a-toi-qui-ne-peux-pas-te-permettre-un-burnout/?fbclid=IwAR24eUoKiF3gbV9-ZGE3L1ZrOQKD27o6A78NGma__fY8GPtnWfx7FZs6F7k

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